Le livre sur la dignité


Voilà le point final du blog, au moins dans sa forme actuelle. Pour la première fois en Roumanie, un blog devient un livre, à 100%. C’est un livre qui a été entièrement écrit dans l’espace public, ses lecteurs ont pu le commenter, l’ammender, l’influencer dans le processus de création même. Et leurs commentaires sont et seront les bienvenus. L’écriture a duré 20 mois.

(Pour ceux qui veulent le livre tout de suite: Cartea despre demnitate.)

Les articles ont été recueillis dans un livre – démarche pleine de surprises et d’émotions. Car, tel qu’ils ont été publiés, en ordre chronologique, ils ont fait de ce blog un journal. Au fur et à mesure que j’ai cueilli des informations, j’ai écrit, j’ai commenté et j’ai encouragé les gens à vivre les mêmes émotions que moi. Je n’ai pas eu comme objectif d’épuiser le sujet de la résistance anti-communiste, au contraire: j’ai voulu provoquer la curiosité des gens qui ignoraient le sujet; ce n’est qu’un point de départ pour ceux qui veulent en savoir plus et ici ils peuvent trouver une opinion. Selon moi, c’est une opinion correcte et équilibrée. Il y a 23 ans, un anonyme a écrit sur un mur de Bucarest: “Pour Noël, on a eu notre ration de liberté!” – un message avec un poids émotionnel extrême, repris plus tard par la presse ou par les manifestations pour la démocratie, encore et encore, sans jamais tomber dans les clichés, au moins pour ceux qui ont  vécu les temps des rations alimentaires. Cette année, toujours pour Noël, moi, un autre anonyme, j’écrirai sur un mur virtuel quelques centaines de pages virtuelles, qui n’auront jamais l’impacte des sept mots réels que je viens de rappeler. Mais je me sens le bénéficiaire direct de ces mots et je considère que c’est, peut-être, la première fois que j’utilise ma “ration” tel qu’il faut le faire. Cette année, pour Noël, Le livre sur la dignité est le cadeau fait par ce blog à tous ceux qui veulent le recevoir.

Au moment où j’ai mis dans un volume tout ce que j’avais écrit, j’ai dû structurer les informations, qui ont pris une autre consistance. Je m’explique brièvement.

Le livre a trois parties, marquées par l’image de trois arbres dans un tryptique des symboles: l’arbre de la souffrance, l’arbre de la mort et l’arbre de l’oubli.

Un segment très petit de la population de la Roumanie s’est opposé à la communisation. Il s’agissait, en général, de gens simples, qui ne possédaient pas la philosophie de la politique mais avaient du bon sens. En général, les incidents ont été déclanchés par les abus du nouveau pouvoir d’après 1945,  et ces gens ont réagi à ces abus sur la base de leurs pouvoirs et leurs consciences et non pas sur la base de la loi. Ils sont partis dans les montagnes et ils ont souffert terriblement, mais peut-être ont-ils été les seuls gens libres du pays. Leurs souffrances sont presque inconnues pour le grand public; leur liberté est inconnue aussi. C’est l’arbre de la souffrance.

La répression de ces gens libres a été médiévale, accompagnée par la mort dans la plupart des cas. Les parties de chasse aux hommes se terminaient avec des exécutions sommaires, ou avec des proies pathétiques que l’on tuait après, dans la captivité. C’est l’arbre de la mort, que l’on retrouve non seulement en Roumanie, mais aussi dans les autres pays de l’Europe de l’Est.

Qu’en savons-nous, en dehors des idées reçues? Assez peu de choses finalement. L’une des idées les plus malheureuses est que le phénomène de la résistance anticommuniste des montagnes roumaines est unique au monde. Pourquoi s’acharner à rechercher cette originalité? A quoi cela sert-il? Il a déjà été prouvé, par des moyens très simples, que cette idée d’unicité est aussi grotesque qu’une autre affirmant que tous les combattants des montagnes étaient des gens d’extrême droite. C’est faux, même si, parmi eux, il y avait aussi des légionnaires.

Comme les États communistes qui étaient organisés sur des principes identiques, imposés par l’Union Soviétique, comme une corporation multinationale qui impose ses processus de business corporatistes dans tous ses bureaux dans le monde, nous devons penser que la réaction des population en cours de communisation forcée aurait dû suivre un format similaire. Ainsi, dans des pays industriellement développés, certains dirigeants des partis communistes ont essayé d’adapter l’idéologie au spécifique de leur pays, et non pas d’appliquer tout simplement un modèle déjà fait. Sans Imre Nagy, on n’aurait jamais eu de Budapeste 1956. Sans Alexander Dubček, il n’y aurait jamais eu de Printemps de Prague. L’explication est simple: les pays industrialisés avaient un spectre politique de la gauche plus couvert, plus mûr, plus rationnel, éloigné de l’extrêmisme communiste.

Et dans les pays agrariens, où la gauche politique était faible, la résistance a appartenu, de manière logique, aux gens de la campagne, une résistance violente, disparate, primitive et vouée à la défaite la plus douloureuse. De tous les pays où il y a eu des mouvements de ce type, le cas de la Bulgarie est presque identique au cas de la Roumanie. Les différences ne comptent pas. La mort est le dénominateur commun, comme si bien dit l’historien Marius Oprea. Dans les conditions où la distance entre Sofia et Bucarest est plus courte que la distance Bucarest – Iași, est-ce que l’on s’est jamais demandé qu’est-ce qu’on sait sur le communisme de nos voisins? Presque rien, sauf l’existence de Jivkov et des footballeurs bulgares de la génération de Stoicikov, vus à la télévision bulgare, et ça, c’est très mal. Il est aussi vrai que les Bulgares ne connaissent que l’existence de Ceaușescu, mais ils ne sont pas au courant du fait que le 21 décembre 1989, dans la capitale de la Roumanie, des centaines de manifestants ont été tués. Comment pourrait-on avoir, dans ces conditions, la prétention démesurément orgueilleuse que la résistance anticommuniste de Roumanie soit connue par tout le monde, mais surtout par l’Europe Occidentale? Si nous ne savons rien sur les combattants bulgares ou polonais, pourquoi devraient les Français connaître les anticommunistes roumains? Qui sait, dans la Roumanie d’aujourd’hui, qui a été Jean Moulin? Nous ne devrions pas nous fâcher contre les Français ou les Anglais – si vous cherchez sur internet un site anticommuniste de l’Europe de l’Ouest, vous trouverez des mauvaises blagues sur des forums où l’extrêmisme avec un air d’enclave exclut la sériosité et même plus – il compromet l’idée de normalité opposée au totalitarisme. Parce que l’anticommunisme, c’est précisément cela: la normalité en opposition avec la folie,  et non pas un autre “isme” idéologique, avec des dérapages antidémocratiques justifiés par une idéologie.

Tout le monde devrait se poser la question logique: qu’est-ce que j’aurais fait, moi? En 1989, dans les derniers jours du régime Ceaușescu, un jeune qui finissait ses études secondaires n’avait que quelques options. S’il avait dit à voix haute ce qu’il pensait, en donnant une voix au bon sens, il aurait pu devenir une victime, puis un opposant acharné, peut-être même sans le vouloir. S’il s’était tu, il aurait pu émigrer, car la Roumanie n’avait rien à offrir. S’il avait collaboré, il aurait pu devenir un conformiste accablé par les compromis, ou peut-être même un activiste du Parti Communiste, un opportuniste pour tout le reste de sa vie. La normalité n’existait plus. En ce qui me concerne, 1989 est venu à temps, avant que je ne puisse répondre à cette question: quel chemin vais-je choisir?

Enfin, ce que l’on ne sait pas très bien on l’oublie encore plus vite, et c’est ce qui se passe déjà avec les haïdouks des montagnes roumaines. Il y a beaucoup de livres à ce sujet, des livres très précieux comme information, car je peux dire de mon propre expérience que les dossiers de la Securitate sont difficiles à lire – les obstacles posés par la langue de bois des officiers semi-analphabètes et par la vision officielle inévitablement distorsionnée de manière hideuse ne sont pas voués à attirer le public vers une vraie pénitence de la lecture. C’est l’arbre de l’oubli.

eBook Cover

C’est pour cette raison que je crois que l’oubli peut être banni par l’art. Et j’ai choisi l’art suprême, l’Opéra. La raison est simple: l’opéra est l’endroit où la musique, la littérature, le théâtre, la poésie – en bref, les autres arts – se rencontrent pour une expérience complète. Et le drame et la tragédie des combattants dans les montagnes est la seule si intense pour pouvoir s’élever au niveau du drame et de la tragédie de la musique d’opéra. Alors, quoi de plus simple? Une production d’opéra qui porterait sur scène les morts des   forȇts serait, j’en suis convaincu, une expérience troublante, difficile à effacer de la mémoire d’un spectateur, même pour la simple raison que l’on n’a jamais fait ça jusqu’à présent.

Voilà la clé de lecture. Pour l’utiliser, vous n’avez qu’à suivre un chemin. Le plan de ce chemin à travers le blog est un contenu, une liste où les articles sont placés dans l’ordre imaginé par moi, avec les liens correspondants, et si vous les suivez, le livre sur la dignité s’ouvrira devant vous.

Joyeux Noël!

Le livre existe sous différents formats:

Vous pouvez aussi lire le livre en feuilletant ce blog, selon le contenu du lien suivant:

Cartea despre demnitate

Lasă un răspuns

Completează mai jos detaliile cerute sau dă clic pe un icon pentru a te autentifica:

Logo WordPress.com

Comentezi folosind contul tău WordPress.com. Dezautentificare /  Schimbă )

Fotografie Facebook

Comentezi folosind contul tău Facebook. Dezautentificare /  Schimbă )

Conectare la %s